Dès 2018, Antonio Nieto-Rodriguez, ancien président du Project Management Institute aux États-Unis, a créé l’expression de « project economy » pour caractériser la façon dont les organisations se réorientent vers les projets et la gestion de projet. Selon lui, cette « project economy » a un impact non seulement sur la façon dont les entreprises sont organisées et managées, mais aussi sur la nature même du travail et sur l’ensemble de nos vies professionnelles.
Dans ce dossier, nous allons développer cette théorie au travers de 3 articles.
Au sommaire :
– Partie 1 : Améliorer l’efficience ne suffit plus : La nouvelle norme de rentabilité, c’est la gestion de projet
– Partie 2 : La gestion de projet change, celles et ceux qui les gèrent doivent changer aussi.
– Partie 3 : Quel est donc le secret des projets qui aboutissent ? Que pouvons-nous apprendre des milliers de projets qui ont échoué ?
Bonne découverte de l’économie de projet !
De nos jours, le monde subit une série particulièrement massive de perturbations. Qu’il s’agisse du mouvement en faveur de la durabilité, de l’essor de l’intelligence artificielle ou de la reprise après la pandémie de COVID 19, d’énormes changements sont en train de remodeler les sociétés et les organisations, qu’elles soient publiques ou privées.
Dans nos entreprises, le rythme opérationnel annuel qui a prévalu pendant un siècle n’est plus en phase avec la réalité. Autrefois, les projets étaient temporaires et les opérations permanentes. Mais aujourd’hui, c’est l’inverse. Améliorer l’efficience des opérations maintient l’entreprise à flot temporairement, tandis que le changement, lui, est permanent.
Pour faire face à ces changements constants, l’auteur avance que les projets apparaissent désormais comme la méthode la plus importante dont nous disposons pour transformer ces défis en changements positifs.
C’est la prédiction d’Antonio Nieto-Rodriguez. Par ailleurs, il ajoute que d’ici 2025 les cadres supérieurs et les dirigeants passeront au moins 60 % de leur temps à sélectionner, hiérarchiser et piloter l’exécution de projets. Nous deviendrons tous des chefs de projet, même si nous n’avons jamais été formés pour cela !
Dans son ouvrage, les chiffres prouvent la croissance fulgurante du nombre de projets à venir :
Mais aller au-delà de l’efficacité pour changer l’entreprise plutôt que de simplement la gérer est une tâche difficile.
En effet, de nombreux projets échouent souvent, et parfois de façon spectaculaire. Les raisons sont nombreuses mais elles peuvent être regroupées autour des principales erreurs suivantes. Et malheureusement, encore aujourd’hui, de trop nombreuses organisations font les mêmes erreurs :
Une des principales raisons à ces écueils est que la gestion de projet est encore trop appréhendée par ce qu’elle a de plus traditionnel :
Ce modèle traditionnel, comme seul bagage des gestionnaires de projet les amène à beaucoup trop se concentrer sur les aspects techniques de leur métier (planification, estimation, coût, temps, périmètre, gestion des risques) et pas assez sur les résultats et la valeur créée (but, justification, avantages, impact et stratégie).
Comme nous l’avons vu précedemment, il est indispensable de dépasser la manière traditionnelle d’appréhender la gestion de projet . Les gestionnaires de projets doivent s’intéresser à ce qui se passe avant ou après l’achèvement de leurs projets. Ils ne peuvent plus se permettre de se concentrer uniquement sur les livrables et ils doivent également chercher à dégager de la valeur avant la fin de leurs projets. Nous devons combattre l’idée selon laquelle, si le projet est achevé dans le respect des délais, budget, périmètre initial, les avantages promis se produiront « tout simplement ».
Et pour cause, trop souvent le chef de projet intervient une fois que le projet a obtenu un top départ de la part des décideurs. Il recevra un budget et un délai à respecter, une équipe à gérer et des livrables à produire. Une fois que son projet aura fourni ses livrables, le chef de projet fera un bilan de comment les choses se sont passées, consignera le tout sous forme de « leçons apprises » puis il se retirera.
En règle générale, il concevra son projet selon les étapes d’un cycle de vie immuable et séquentiel, en passant successivement par l’initiation, la planification, la mise en œuvre et la clôture. L’équipe projet travaillera sur une étape jusqu’à ce qu’elle l’ait terminée, puis elle passera à la suivante, et lorsque la dernière étape sera franchie, le projet sera terminé. À aucun moment il ne reviendra à une étape précédente.
Mais nous savons maintenant que les projets ne se prêtent pas toujours à une approche aussi rigide et séquentielle. En se chargeant d’un travail qui n’a jamais été fait auparavant, les projets impliquent des expériences, des faux départs et des échecs et, par conséquent, sont susceptibles de passer d’une étape à l’autre.
Certes, la gestion de projet aura toujours besoin de boîte à outils et de méthodologies à appliquer. Cependant, elle aura de plus en plus besoin d’élargir son périmètre d’intervention pour couvrir le cycle entier de la création de valeur par les projets.
En plus de couvrir les étapes classiques (initialisation, conception, mise en œuvre et clôture), la gestion de projet doit intégrer :
Pour parvenir à maitriser cette nouvelle gestion de projet, les compétences des chefs de projet doivent évoluées, mais à quoi ressemblent-elles ?
Au-delà d’une forte maîtrise des compétences techniques en gestion de projet, d’une bonne compréhension du domaine sur lequel porte le projet et du fonctionnement de l’entreprise, l’une des principales lacunes identifiées en matière de compétences concerne les personnes capables de diriger des projets dans l’ensemble de l’organisation.
Voici les 7 qualités du chef de projet du futur identifiées par l’auteur de la : « project economy » :
Pour conclure, il est très important d’envisager la gestion de projet comme l’ensemble des compétences, des techniques et des outils qui aident les gens à définir, planifier et mettre en œuvre des projets avec succès.
Seuls quelques projets, triés sur le volet, atteignent leur objectif, réalisent des bénéfices durables, satisfont la plupart des parties prenantes, respectent leurs délais et restent dans les limites de leur budget initial. Quel est donc leur secret ? Que pouvons-nous apprendre des milliers de projets qui ont échoué ?
Aller au-delà de l’efficacité pour changer l’entreprise via les projets plutôt que de « simplement » l’optimiser est une tâche difficile. En effet, de nombreuses organisations :
Il n’est donc pas étonnant que de nombreux projets échouent. Il est difficile de savoir précisément combien d’argent est gaspillé chaque année en raison de mauvaises décisions, d’un manque de compétences et d’une compréhension insuffisante de l’importance de bonnes pratiques de gestion de projet. Plusieurs études ont tenté d’estimer la destruction de valeur de cette lacune dans la gestion.
Les faits sont accablants : Le 2018 Pulse of the Profession, une enquête mondiale menée par le Project Management Institute (PMI), a révélé qu’environ 1 million de dollars est gaspillé toutes les 20 secondes collectivement par les organisations du monde entier en raison de la mise en œuvre inefficace de la stratégie commerciale par de mauvaises pratiques de gestion de projet. Cela équivaut à environ 1,5 trillion de dollars gaspillés par an, soit l’équivalent du PIB du Brésil(1).
Il est encore plus difficile de quantifier les pertes en termes d’avantages non obtenus, d’impact social négatif et de revenus manqués résultant des retards massifs, ou des échecs, causés par des projets médiocres et une direction de projet déficiente – sans parler de la question de savoir si les avantages initialement estimés ont réellement été atteints.
La bonne nouvelle est qu’il existe de nombreux exemples d’excellence en matière de gestion de projet.
Qu’ont en commun ces organisations et ces pays qui ont réussi leurs projets ? Quels enseignements pouvons-nous tirer pour qu’à l’avenir : les projets soient beaucoup plus réussis, qu’ils génèrent une plus grande richesse pour l’économie et qu’ils apportent plus d’avantages à nos sociétés ?
Lisez la suite pour découvrir les 5 clés de succès des projets qui réussissent.
Nous devons prêter attention aux acteurs des projets et veiller à ce qu’ils disposent des compétences, outils et techniques dont ils ont besoin pour s’épanouir et contribuer à une entreprise toujours plus axée sur les projets.
Dans la pratique, peu de personnes reçoivent une éducation qui leur enseigne les outils et les techniques nécessaires pour définir et gérer des projets avec succès(2). Pendant des décennies, les compétences en gestion de projet ont été considérées comme tactiques et non pertinentes pour les postes de direction des organisations. Le monde des entreprises est dirigé par des experts en stratégie, en finance, en marketing et en vente, pas par des chefs de projets.
Deuxièmement, nous devons recalibrer la répartition des moyens en allouant davantage de ressources et de budgets au travail par projet.
Source : The project economy – Antonio Nieto-Rodriguez
Le tableau ci-dessus est extrait d’une présentation d’Antonio Nieto-Rodriguez. Ils comparent les ressources allouées au fonctionnement opérationnel (OPERATIONS / Run the business), en bleu sur le tableau, et les ressources allouées aux projets, visibles en orange.
En effet, la part des ressources qu’une entreprise dépense à fonctionner (partie bleue du tableau) a été très conséquente par le passé. La plupart des travaux d’importance en management d’entreprise ont porté sur le fait d’améliorer l’efficience des activités opérationnelles.
Le résultat de tous ces efforts est que les entreprises ont rendu leurs opérations extrêmement efficaces, atteignant des niveaux où il est de plus en plus difficile de trouver des améliorations d’efficacité supplémentaires.
Dans le même temps, le nombre de projets dans les organisations, la quantité de ressources qui leur sont consacrées et la taille des projets ont augmenté d’année en année (partie orange du tableau).
Cette tendance s’est fortement accélérée. Et dans le futur, Antonio Nieto-Rodriguez prédit que de moins en moins de ressources seront consacrées à l’amélioration de l’efficience du travail opérationnel.
Les chefs de projets qui réussissent à amener leur projet vers le succès, se concentrent sur la valeur et les avantages plutôt que sur les processus et les contrôles. Ils encouragent la génération d’avantages et d’impacts plus rapidement. Ils s’assurent d’avoir bien compris le but de leur projet et son alignement sur la stratégie de l’organisation. Ils se concentrent sur la mise en œuvre plutôt que sur la planification détaillée. Ils élargissent les horizons au-delà du cycle de vie traditionnel du projet, en prenant en compte les phases de pré-projet et de post-projet. Et enfin, ils sont rapides et flexibles – ce qui leur permet d’adapter le projet à tout moment.
Les chefs de projet efficaces doivent être de véritables leaders. Ils doivent comprendre le contenu du projet tout en supervisant les activités détaillées pour en assurer la réussite. L’élaboration d’une analyse de rentabilité complète est un processus long et ardu, mais les chefs de projets doivent s’assurer que leur projet a une justification claire, un objectif et un lien avec une stratégie supérieure avant d’être lancé. Ils doivent également s’assurer que leur sponsor exécutif soit actif, permanent et pleinement engagé. C’est un point essentiel à la réussite du projet. Enfin, les projets entraînent des ajustements et des changements, le statu quo est rarement la règle. Le chef de projet doit donc s’attendre à des résistances et celles-ci doivent être prises en compte et traitées dès les premières étapes.
Les projets auront toujours besoin de personnes motivées pour les diriger, les gérer, les exécuter et les clôturer. L’échec d’un projet n’est pas toujours mauvais ; c’est souvent une occasion d’apprendre, de mûrir et de se concentrer davantage sur d’autres projets plus pertinents. L’incertitude est inhérente aux projets et de ce fait la gestion des risques est essentielle à la gestion de projet. Il est fort probable que les plans et les exigences initiaux du projet soient modifiés ; l’agilité est donc indispensable tout au long du projet. Les organisations axées sur les projets travaillent en dehors des silos, ce qui permet une plus grande flexibilité et un temps de réponse plus rapide aux adaptations nécessaires.
Comme nous l’avons au cours de cet article basé sur la « project economy » d’Antonio Nieto-Rodriguez, les organisations se concentreront plus que jamais sur les projets et le travail par projet.
Les projets sont véritablement en train de devenir la nouvelle norme pour créer de la valeur !
Sources :
(1) https://www.pmi.org/-/media/pmi/documents/public/pdf/learning/thought-leadership/pulse/pulse-of-the-profession-2018.pdf
(2) The focused organization : how concentrating on a few initiatives cand dramatically improve strategy execution (Abingdon : routledge, 2016)