Imaginez transformer l’incertitude en une alliée capable de révéler des opportunités insoupçonnées . Lors de l’événement Quali Excellence 360 du 9 novembre 2024, nous avons eu le privilège d’échanger avec Quentin Ladetto, acteur de la prospective technologique en Suisse.
Dans l’atelier que nous avons sponsorisé, intitulé « Affronter l’inconnu avec confiance et sérénité », il a partagé des perspectives fascinantes sur le rôle crucial de la prospective pour aider les organisations suisses à se préparer aux défis de demain. Plongez dans cette discussion inspirante qui offre des clés essentielles pour bâtir des stratégies plus résilientes et avant-gardistes.
Ad Valoris : Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Quentin Ladetto : C’est toujours un exercice difficile, que dire ? Je pense avant toute chose que je suis quelqu’un de chanceux, de curieux, qui a toujours fait les choses avec passion. Ayant commencé des études de droit, abandonnées au bout de 2 mois, j’ai terminé mes études en génie rural par un doctorat en Géomatique à l’EPFL. Plutôt que de rester dans le monde académique, j’ai bifurqué dans l’industrie avant de faire un executive MBA en finances pour me rendre compte que la finance ne m’intéressait absolument pas. À la fin, c’est l’activité qui m’a choisie car là-aussi, avant de commencer le dispositif de prospective technologique chez armasuisse, je n’avais jamais entendu parler de ce domaine.
Pendant l’atelier « Affronter l’inconnu avec confiance et sérénité », vous avez proposé une immersion dans la prospective. Pouvez-vous nous expliquer ce que c’est ?
Pour l’expliquer, je reprendrais la citation de Gaston Berger, père français de la prospective, qui mentionne que
“L’avenir n’est pas ce qui vient après le présent, mais ce qui est différent de lui.”
Cela signifie que généralement ce qui nous fait peur dans l’avenir, c’est ce qui pourrait être différent d’un aujourd’hui que l’on connaît bien – certes peut-être pas parfait – mais connu.
Dans un monde qui change rapidement et où la technologie joue un rôle clé, il faut se donner des outils pour l’affronter, pour remettre les choses à leur place et savoir ce qu’il faut faire. En 45 minutes d’atelier, nous n’avons pas trouvé des solutions à tous les problèmes du monde, mais nous avons essayé de comprendre l’état d’esprit et la posture avec lesquels affronter un quotidien en constante évolution. J’espère qu’à la fin de l’atelier tout le monde se soit senti plus capable d’agir, et si possible, avec le sourire.
En quoi la prospective est essentielle pour anticiper les crises et gérer le changement dans le monde de l’entreprise en Suisse, mais aussi partout ailleurs ?
Les projets de prospective remettent en question des hypothèses que nous tenons pour vraies, mais qui peuvent évoluer. Cela peut sembler très abstrait, mais par exemple une étude de prospective pourrait être de penser une Suisse où plus personne n’est propriétaire d’une voiture. Le but n’est pas de juger si la finalité est désirable ou non, mais de comprendre à quoi cela ressemblerait : Quelle organisation serait à mettre en place ? Comment ? Si votre modèle d’affaire, telle une assurance, dépend de la propriété d’un véhicule, il serait intéressant de réfléchir à ce que signifierait pour vous ce futur alternatif.
On remarque que si on se pose ce genre de questions, il y a énormément d’autres éléments qui vont affleurer. Les organisations qui intègrent ce genre de réflexion sont plus préparées à saisir des opportunités et à réagir rapidement aux changements, que nous appelons dans le jargon des “signaux faibles”. Si votre organisation est en mouvement, vous pourrez normalement mieux et plus vite réagir que si vous êtes statique.
« Se faire battre est excusable, se faire surprendre impardonnable. » Napoléon Bonaparte
Quelles sont les principales tendances technologiques que vous observez et comment voyez-vous leur impact sur le paysage des entreprises suisses ?
Nous venons de publier un document intitulé AnticipaTech décrivant les 11 tendances technologiques que nous observons : la science des données, les technologies immersives, les nouveaux matériaux et production numérique, les énergies renouvelables et la résilience, les technologies d’amélioration humaine, la cybertechnologies, la communication numérique ou encore les systèmes robotiques et autonomes. Toutes, sans exception, mais dans des proportions variables, auront des impacts sur les entreprises suisses. Ces impacts seront différents sur chaque industrie, une entreprise de construction n’ayant par exemple pas les mêmes vulnérabilités qu’une entreprise de services informatiques.
Par contre ce qui est commun, c’est d’y réfléchir. Je pense que la célèbre devise napoléonienne a ici toute sa place que ce soit pour toute industrie ou pour le monde de la défense :
« Se faire battre est excusable, se faire surprendre impardonnable. »
Chez armasuisse, vous travaillez sur l’anticipation technologique. Pensez-vous que ces innovations pourraient s’étendre à d’autres secteurs, comme la gestion de projets ou la logistique dans les entreprises en Suisse et ailleurs ?
Absolument, et c’est ce qui a guidé la vision et les activités du programme de prospective durant ces dernières années. Très concrètement, tous les documents que nous avons travaillé ces dernières années sont en libre accès et disponibles sous « https://deftech.ch » en diverses langues. L’idée est de partager nos connaissances pour que d’autres secteurs puissent en tirer parti et s’adapter aux défis de demain. Le président américain Truman l’avait dit :
« L’éducation est notre première ligne de défense. »
En effet, la logistique est un aspect fondamental de toute armée, sans logistique, rien ne se passe… et dans le civil, pas grand-chose non plus !
Pouvez-vous nous expliquer en quoi la prospective peut faciliter le développement des entreprises privées, particulièrement dans des régions comme le canton de Vaud où la culture d’innovation est forte ?
La prospective peut aider les entreprises à imaginer et à anticiper les impacts qu’occasionneraient certains changements possibles sur le canton de Vaud : qu’ils soient environnementaux, technologiques ou sociétaux.
Si l’on considère les changements climatiques, il est essentiel d’anticiper par exemple les implications sur l’industrie du tourisme dans le canton de Vaud. Il pourrait s’agir entre autres de développer de nouvelles offres se satisfaisant uniquement d’un tourisme européen, les vols long-courriers étant devenus trop onéreux, voire interdits.
Autre exemple, si demain le stress hydrique devenait tel que le lac Léman devenait l’endroit de stockage exclusif de l’eau potable, quels nouveaux défis pour lutter contre l’évaporation ? Là également, comment se transformerait le Lavaux et quelles implications pour la région ?
Vous voyez, il n’y a pas besoin d’aller vraiment loin pour trouver des sujets potentiels et dont certains sont probablement connus. Penser le long terme est un défi en soi, mais considérer ses implications et agir aujourd’hui sur quelque-chose sans certitude en est un encore plus grand ! Pourtant, les entreprises suisses qui intègrent cette réflexion sur le long terme se trouvent mieux armées pour faire face aux imprévus.
Les entreprises suisses qui intègrent cette réflexion sur le long terme se trouvent mieux armées pour faire face aux imprévus.
Pendant l’atelier, vous avez proposé des outils pratiques pour réussir à se projeter dans un futur complexe avec assurance.
Au travers de ces outils, vous aidez les participants à repérer les tendances émergentes, les signaux faibles, et surtout, comment transformer ces informations en opportunités pour leur organisation.
Pouvez-vous nous présenter ces outils concrètement ?
Vous vous en doutez certainement, il y a une infinité d’outils et de méthodes diverses et variées. Ce que j’ai proposé durant l’atelier est plus une façon d’approcher la complexité et l’incertitude de certains phénomènes, qui pourraient avoir un impact sur une activité quelle qu’elle soit. Pour cela, j’ai utilisé le « Roadmapping », un processus développé par l’Université de Cambridge, qui repose sur trois questions : Pourquoi changer ? Que faire ? Comment le faire ? Ces trois questions permettent d’aborder la complexité avec logique et bon sens.
Cette méthode aide à structurer la réflexion prospective, en reliant les tendances émergentes aux actions concrètes à mettre en œuvre. La prospective consiste à créer des scénarios et à choisir des actions en fonction de la direction souhaitée. C’est un exercice d’imagination, mais qui doit toujours être relié à la réalité du terrain et aux ressources disponibles.
À travers vos travaux et recherches, vous avez probablement observé des entreprises qui s’adaptent mieux que d’autres aux changements. Quels sont selon vous les 5 points communs des organisations qui réussissent à prospérer dans un environnement incertain ?
Pour prospérer dans un environnement incertain, il faut connaître le terrain tout en admettant que celui-ci puisse changer.
- Les organisations qui réussissent restent en contact avec la réalité tout en étant prêtes à remettre en question leurs certitudes. Elles n’hésitent pas à oser, à expérimenter, et à prendre des risques mesurés. Il faut permettre, oser changer et parfois également “oser, oser”.
- Les entreprises qui prospèrent encouragent une culture d’apprentissage continu. Elles incitent leurs collaborateurs à être curieux, à explorer de nouvelles idées, et à rester ouverts au changement.
- Ces entreprises savent créer des liens entre la stratégie à long terme et les actions concrètes du quotidien. Ce lien est crucial pour transformer une vision en réalité.
- C’est important que l’état d’esprit de la prospective soit ancré dans la stratégie d’entreprise. Les idées issues de la prospective peuvent aider à développer de nouveaux produits et à préparer l’avenir, mais cela nécessite un investissement de temps et de ressources.
- Trouver des personnes résilientes aux critiques – ouvertes d’esprit pour avancer et slalomer entre les priorités du quotidien. Il est essentiel d’offrir des espaces pour expliquer, communiquer ces nouvelles idées, ces possibles futurs.
En règle générale, et indépendamment du type d’entreprise, le dispositif d’anticipation amène de nouvelles questions, qui la plupart du temps apportent le changement. Personne n’aime a priori le changement. L’entreprise devra offrir des possibilités d’expliquer et de communiquer ces nouvelles idées, ces possibles futurs. Cela peut prendre du temps jusqu’à ce qu’une idée fasse son chemin, beaucoup de temps, d’autant plus si aucun nuage ne se voit à l’horizon… Mais il faut conserver à l’esprit que si un nuage inattendu apparait, c’est peut-être déjà trop tard et il n’y a plus le temps, ni les ressources matérielles pour moissonner et rentrer la récolte.
Quel message souhaitez-vous adresser aux dirigeants et aux managers qui cherchent à se préparer aux défis futurs ?
Restez curieux, rappelez-vous toujours les hypothèses qu’il y a derrières toutes choses : Est-ce que ces hypothèses sont-elles toujours valides ? Est-ce que tout le monde est d’accord avec vous ? Si c’est le cas, vous avez peut-être un problème, ou un biais. Privilégiez la diversité des personnes que vous écoutez. Utilisez l’imagination pour vous projeter, mais développez une façon de la rattacher à la réalité. Cela signifie relier la stratégie à la tactique, les étages les plus hauts et conceptuels avec ceux les plus bas, les plus opérationnels, car à la fin du compte, une vision sans implémentation, toute anticipation que l’on puisse l’appeler, ne restera qu’une hallucination !
Pour en savoir plus sur les travaux de Quentin Ladetto, cliquez sur les liens suivants.
https://deftech.ch
https://atelierdesfuturs.org
https://anticipatech.com
https://anticipascope.com
Les mots de Quentin Ladetto
« Relier la stratégie à la tactique, les étages les plus hauts et conceptuels avec ceux les plus bas, les plus opérationnels, car à la fin du compte, une vision sans implémentation, toute anticipation que l’on puisse l’appeler, ne restera qu’une hallucination ! »
Quentin Ladetto
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